La science Informatique a 4 piliers [Gilles Doweq] …

Gilles Doweq , philosophe et informaticien français, a une influence majeure dans la construction mentale française de ce qui compose la science informatique.

L’Informatique, grâce à lui, est vu comme la composition de 4 piliers :

  1. *Algorithmique* : les humains discutent entre eux de ce qu’il faut faire faire aux machines
  2. *Programmation* : l’art d’expliquer à une machine ce qu’elle doit faire
  3. *Architecture* : la fabrication de la machine
  4. *Données* : le stockage des informations représentant le monde dans une machine

Ensemble, ils forment l’Informatique. Cette vision est devenue omniprésente en France. Elle architecture le programme de l’Informatique au Lycée, en Prépa et transparait jusque dans la nomenclature des spécialités composant la section informatique du CNRS de 2024.

Cette vision apporte clarté et ordre dans une discipline qui en avait besoin.

Mais elle est incomplète ! Et cela nuit à des pans entiers de la discipline qui ne rentre pas dans les cases.

… et un sanctuaire, au centre

Je reconnais qu’il m’a fallu quelques années pour finalement me rendre compte que cette partition masque les gros bouts de l’Informatique qui ne rentrent pas dans l’une de ces quatre cases, mais qui, intrinsèquement, couvrent plusieurs piliers simultanément.

En mirroir des piliers des temple grecs, j’appelle cette partie le sanctuaire, car il est réservé aux initiés maitrisant les quatres piliers, donc un peu caché derrière eux, et pourtant au centre de la discipline, en interaction avec tous les piliers.

J’identifie au moins deux sous-domaines de l’Informatique qui couvrent les quatre piliers, et qui sont très mal représentés par cette partition.

Les informaticiens spécialisés dans un pilier, dont je fais probablement partie, manquent de recul sur ces domaines, et les placent souvent dans matériel, à comprendre au sens grec de la hiérarchie des sciences: peu de mathématiques, pas très propre, donc pas important, négligeable, déjà résolu.

Les systèmes d’exploitation n’existent pas, en tant que tel, dans la nomenclature Informatique du CNRS de 2024 (il reste virtualisation).

L’INRIA, en 2024, sur une quarantaine de postes de chercheurs a recruté 0/40 postes en réseaux ou en systèmes d’exploitation.

Évolution des systèmes d’exploitation et de la vision en quatre piliers désormais classique

Dans notre monde contemporain, les piliers sont attaqués et flottent déjà un peu dans le vide:

- Que signifie encore l’algorithmique et la programmation, quand l’efficacité des applications programmées dans les nuages n’est pas évaluée.
- Que signifie encore la notion de données à l’heure des LLM et des GAN ?
- Que signifie l’architecture, quand les matériels deviennent suffisamment bugués pour forcer la mise en place de ralentissements majeurs dans les systèmes d’exploitation afin de palier à leurs déficiences, maintenant parfaitement conscientes.

Pour de nombreux collègues informaticiens, les systèmes d’exploitation sont encore ceux des années 2000. Ils n’ont pas vu que sous l’écume des interfaces classiques, tout avait radicalement changé (Threads, cœurs, NUMA, cache, grandes pages, conteneurs, FS, eBPF, réseaux, etc.). Ils voient que peu l’intérêt d’enseigner à des étudiants informaticiens, ce qui a trait au sanctuaire contemporain, .

Hélas, pour les diplômés et diplômées qui ont crus cette fable et n’ont pas fait l’effort d’intégrer en eux les quatre piliers pour entrer dans le sanctuaire, ils ne comprennent tout simplement plus ce qui se passe dans leurs programmes. Ils deviennent les serfs prisonniers des frameworks logiciels clef-en-main liés aux grandes plateformes du Techno-féodalisme (notion intéressante en économie contemporaine: les grandes plate-formes extraient une rente en contrôlant les ventes (30-40% du prix), comme les nobles dans une société féodale. Elles ne fabriquent rien, contrairement aux sociétés capitalistes qui les précèdent et qu’elles exploitent.

Je reste persuadé que l’enseignement des sous-domaines du sanctuaire est le bon chemin pour former l’esprit des informaticiens capables d’affronter les nouveaux défis informatique de notre monde en ébullition.

L’espoir existe aussi de l’autre côté de la rue des Sciences. Les notions informatiques avancées de mémoire virtuelle paginée, conteneurs, isolations, perméabilité, cohérence des données distribuées, graphes de tâches, flots de travail, sont maintenant enseignées aux physiciens et biologistes, pour qu’ils puissent réussir à faire de la science reproductible, avec python.